Méricourt le monument aux Morts - Collection privée
Un point de vue qui ne plaira pas à tout le monde :
Dans un an très exactement, nous serons entrés dans la célébration du centenaire de la Grande Guerre. Le pire, comme toujours en matière de célébration nationale, est à craindre. Il suffit de se remémorer les festivités mitterrandiennes organisées à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française pour s’en convaincre. À l’évidence, nous n’éviterons pas les grands défilés pacifistes où de faux “poilus”, marchant au son d’une musique composée par un artiste officiel du régime, viendront dénoncer “l’inutile boucherie” de 14-18.
Les honneurs médiatiques et politiques seront bien entendu réservés aux mutins, aux déserteurs et aux fusillés pour l’exemple, nouveaux héros d’une Europe sans guerre, et l’on viendra s’étonner sur les antennes que plus de un million de Français aient consenti le sacrifice de leur vie pour la défense de leur patrie. La patrie, ce mot qui a permis à des millions d’hommes de tenir dans les tranchées pendant quatre années terribles est devenu, un siècle plus tard, politiquement incorrect et soyons certains qu’il ne sera jamais prononcé dans les discours sirupeux dont nous allons être abreuvés.
Aux enfants des écoles, on apprendra doctement le conditionnement psychologique auquel le peuple français avait été soumis pendant plus de quarante ans pour obtenir cette soumission à une guerre “inutile”, mais du courage et de la reconnaissance due à une génération qui accepta de disparaître pour que la France demeure, il ne sera jamais question…
Un petit livre qui paraît aujourd’hui vient pourtant dire mezza voce une autre vérité, il est l’oeuvre de Stéphane Audoin-Rouzeau et cette chronique lui emprunte son titre. Ici pas de démonstration pesante ou de thèse accablante mais le regard très personnel du fondateur de l’Historial de Péronne dont les travaux ont renouvelé profondément notre regard sur la Première Guerre mondiale.
En moins de 140 pages, l’historien met une vie de recherche au service de ce qu’il appelle lui-même un « récit de filiation » pour essayer de comprendre les marques que le conflit a laissées sur lui à travers le tamis des générations précédentes. Celle des « grands-pères », montés au front et dont il « relit » aujourd’hui les témoignages poignants, et celle du père qui n’a jamais compris ces survivants jusqu’à la fracture de sa propre existence. Une « faille » qu’avec beaucoup de courage l’auteur avoue avoir « placée sous surveillance »et dont « il cherche à s’assurer qu’après lui, elle ne resurgira pas. »
On ne ressort pas indemne de la lecture de ce livre dans lequel chacun reconnaîtra un peu de ses lignées, mais il a l’immense mérite de nous faire comprendre avec autant de pudeur que d’intelligence que c’est aussi cette transmission inconsciente de la guerre, le poids de ses morts, de nos morts, de leurs traumatismes comme de leur héroïsme, qui fait aujourd’hui de nous des Français.